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Conflit conjugal, une notion culturelle – part 2

Étudier une représentation sociale, selon Abric (2003), implique, en premier lieu, de s’interroger sur ses éléments fondamentaux constitutifs de son noyau central. Tous les éléments de la représentation n’ont pas la même importance. Certains sont essentiels, d’autres importants, d’autres, enfin, secondaires.

La signification du contenu ne dépend non pas de l’étendue des connaissances mais de leur organisation logique. Deux contenus identiques peuvent correspondre à deux représentations sociales différentes si on regarde plus loin à leur organisation. Et bien, cette étude l’approuve. 

La nature du conflit et les notions évoquées

Les premières phrases des acteurs interrogés lorsqu’ils s’expriment à propos du conflit pourraient nous indiquer le noyau central de leur représentation.

Les Indonésiens déclarent qu’il est normal d’avoir des conflits dans la vie conjugale. Ils écloront toujours de temps en temps, mais le couple se réconciliera généralement. Un conflit conjugal est donc temporaire. Normal, son caractère temporaire et la réconciliation en découlant sont les noyaux centraux de la représentation du conflit conjugal chez les indonésiens.  

Par contre, les Français évoquent le mot conflit pour accentuer la distinction entre deux types d’actes violents dans le cadre des violences conjugales : celui qui se passe de manière gratuite et celui qui se passe lors de la dispute.

Les deux sont intolérables même si c’est compréhensible qu’une dispute soit susceptible de mal finir. Parce que selon eux, revenons au conflit conjugal, « Si on ne s’entend plus, on se sépare, on divorce ». Le conflit et la rupture conjugale sont inévitables selon les Français. 

La représentation est une forme d’expression sociale et culturelle, déclare Jodelet (2002). C’est intéressant que chez les Indonésiens, le mot conflit conjugal évoque la notion du mariage et de la réconciliation mais chez les Français, la notion du divorce et de la séparation.

Il est aussi important de noter le choix des mots dans les deux pays. Les Indonésiens utilisent le mot « normal » et les Français « inévitable ».

Remarquez aussi que les Indonésiens accentuent le contexte de leur vie conjugale. Il est normal d’endurer des conflits dans la vie conjugale, mais non dans d’autres contextes. Pour les Français, les conflits interpersonnels, non exclusivement ceux au sein du couple, sont toujours inévitables. 

Dans la culture collectiviste, les contacts avec d’autres membres du groupe sont conçus comme une nécessité quotidienne. C’est pour cela qu’il faut éviter les conflits interpersonnels.

Pour les éviter, on doit être tolérant et patient. On doit mettre l’intérêt d’autres personnes au-dessus du nôtre ; on doit se sacrifier. On doit s’excuser même si cela n’est pas notre faute. On ne doit pas refuser ou dire non car cela va blesser l’autre.

Si on ne détient pas ces qualités, on pourra toujours tenter d’éviter des affrontements directs. Il faut rester calme et ne pas dire ce qu’on n’aime pas chez lui. 

Si malgré tout, un conflit s’est produit, si on n’a pas pu l’empêcher, si on nous fait mal, il ne faut pas que ce conflit compromette l’harmonie. On doit se pardonner même si cela n’est pas facile. Le conflit n’est pas résolu, cela n’est pas grave. Le plus important, c’est que nos relations avec cette personne ne soient pas rompues.

Après avoir passé des jours sans tranquillité car on pense toujours à ces relations qui risquent d’être brisées à cause de ce conflit (remarquez qu’on ne pense pas au conflit en soi), on va finir par se réconcilier.

Notre identité de soi est déterminée par nos relations avec les autres. Depuis tout petit on apprend à penser en terme de nous. Briser ces relations signifie que l’on se brise nous-mêmes. 

Pour les Français, les conflits sont inévitables. Il y a la reddition, sans défense, on ne dispose pas des « réflexes » indispensable pour empêcher son surgissement. On n’y pense pas. S’il arrive, il faut le résoudre, il faut faire face et non l’esquiver.

Pour cela, les affrontements directs sont recommandés. On lui dit ce qu’on n’aime pas, ce qui nous dérange, ce qui ne va pas… Si on arrive à faire des compromis, à résoudre le conflit, à se comprendre, tant mieux. Si non, tant pis.

On peut supprimer la personne avec qui on a des conflits de la liste de nos contacts. On peut ne plus parler avec elle. On n’a pas besoin d’aimer tout le monde et d’être aimé par tout le monde.

Ce dont on a besoin dans la société individualiste, c’est l’épanouissement personnel. Si une relation n’y contribue pas, il n’y a pas de raison de la maintenir, de la conserver contre vents et marais.  

Une vie de couple autorise les Indonésiens à avoir des conflits. Les relations intimes nous permettent d’enlever notre masque, de nous montrer nus tels que nous sommes. On n’a plus d’obligation d’éviter les conflits.

On se sacrifie mais on exige aussi que notre partenaire en fasse autant. On le comprend mais on lui demande aussi de nous comprendre.

Cependant, la patience, la tolérance, toute qualité que nous devons manier et associer dans les autres relations, on doit aussi les exploiter dans la vie conjugale. Ceci est amplifié dans la relation amoureuse par son aspect intime, spécial, voire sacré.

Avant tout, le statut apposé ( : statut « marié ») s’avère crucial et il est impératif de le maintenir. Cette problématique sera développée plus précisément dans la partie de résolution du conflit. 

Tableau 4 La nature et les notions évoquées du conflit conjugal

IndonésieFrance
Nature Normal 
Temporaire, le couple va se réconcilier
Inévitable
Temporaire, le couple va se réconcilier ou se séparer
Notion évoquéeMariage et statut marital
Réconciliation
Harmonie
Rupture ; Séparation ; divorce

* Cet article s’appuie sur un travail de thèse (les entretiens ont été effectués durant les années 2014-2015) sous la direction de JL Viaux, professeur émérite de psychopathologie et psychologie légale à l’Université de Rouen Normandie.

Nous avons interrogé 48 professionnels français et 76 professionnels indonésiens qui prennent en charge des affaires des violences conjugales dans chaque pays (forces de l’ordre, magistrats, avocats, psychologues, conseillers juridiques, et assistants sociaux).

J’assume toute la responsabilité des propos publiés ici.

Illustration : Émile Friant. Ombres portées (1891)

Revu par Arthur Varnier

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