La psychologie féministe est une branche de la psychologie qui s’est développée aux Etats-Unis et dans d’autres pays anglo-saxons. Depuis 1975, elle fait partie de l’American Psychological Association. Elle y a été officiellement enregistrée comme la Division 35 : Society for the Psychology of Women. Elle s’appuie effectivement sur les concepts féministes.
En France, on connaît à peine cette discipline. Deux explications pourraient le justifier. Premièrement, nous n’avons pas la même histoire du combat féministe, alors que la psychologie féministe surgit du mouvement féministe. Deuxièmement, le féminisme n’est pas un sujet que l’on considère “scientifique”.
Tout a commencé par la menstruation et le cerveau
La psychologie est effectivement une discipline androcentrique. L’une des théories du développement humain élaborée par Erik Erikson s’est fondée sur la vie de trois garçons (dans Juanita H. Williams, 1977). Or, il affirma qu’il s’agissait du développement humain. Quand les théories s’appuient sur la vie des femmes, celles-ci sont des patientes névrotiques comme celles de Sigmund Freud. Les théories de Freud et d’Erikson sont utilisées à ce jour comme les théories principales en psychologie. Malheureusement, il est rare que l’on demande aux étudiantes d’avoir un regard critique vis -à -vis de ces théories.
Pourtant depuis longtemps, certains scientifiques ont remarqué qu’il existe des inégalités entre hommes et femmes dans la psychologie. Tout a commencé en 1877 lorsque Mary Putnam Jacobi, médecin et suffragette américaine, a publié les résultats de sa recherche sur la question du repos pour les femmes pendant la menstruation. Des entretiens et des observations médicales sur 268 femmes, Jacobi déclara que les femmes n’avaient pas besoin de repos physique et mental spécifiquement pendant la menstruation. Elle affirma que ses performances ne sont pas perturbées et qu’elles peuvent bouger normalement si elles bénéficient d’un apport nutritionnel équilibré.
A cette époque, la menstruation était considérée comme une maladie, mis à part le caractère sale et honteux qui s’y rattache. De plus, l’idée qui s’est développée à cette époque était que les activités intellectuelles pouvaient nuire à la santé des femmes.Trois ans avant la publication du livre de Jacobi, Clarke, médecin et ancien professeur de l’Université de Harvard, a déclaré dans son livre Sex in Education (1873) que les filles, par rapport aux garçons, risquaient de nuire aux fonctions de leur corps et de leur cerveau si elles travaillaient à l’école et faisaient des devoirs. C’est parce que le système reproducteur féminin est plus complexe et compliqué. Il ajouta que tout effort physique ou mental pendant la menstruation pourrait conduire les femmes à devenir stériles. Pour cette raison, les filles furent invitées à se reposer et à peu étudier, surtout pendant leur période menstruelle. Le travail de Jacobi était en effet une réfutation de la thèse de Clarke.
Bien que Jacobi ait publié les résultats de ses recherches avec une méthode scientifique sans faille (voir la publication précédente sur Mary Putnam Jacobi), le monde de la médecine et de la psychiatrie crut toujours que les femmes ne devraient pas s’engager dans des activités qui stimulent leur cerveau. En 1892, Sir James Crichton-Browne, le directeur de l’Association médico-psychologique, a écrit que les femmes devaient être vigilantes de la maladie d’anorexie-scolastique. Il s’agit d’une maladie anorexique qui n’affecte que les femmes (uniquement pour les femmes) en raison d’un excès d’études et d’autres activités intellectuelles.
Qui dit que seuls les hommes maîtrisent la psychométrie?
Après Jacobi, Helen Bradford Thompson (plus tard Wooley) a secoué le monde de la psychologie avec sa thèse Psychological Norms in Men and Women (1900). Ce fut la première fois en étude psychologique que l’on comparait les caractéristiques mentales des hommes et des femmes et que l’on établissait des normes différentes (calculs psychométriques) pour ces deux groupes.
Trois ans plus tard, Thompson a publié The Mental Traits of Sex (Les Traits mentaux du sex, 1903), dans lequel elle prouve que l’intelligence des femmes n’était pas inférieure à celle des hommes. En étudiant les aspects du fonctionnement mental, elle a conclu que l’intelligence des hommes et des femmes était en effet similaire. C’est l’éducation qui explique leurs différences, plutôt que la biologie.
Ensuite, elle a étudié les différences entre les enfants scolarisés et les enfants qui travaillent. Elle a démontré que quitter l’école pour aller travailler ne profitait pas aux enfants. Cette découverte a contribué à l’adoption de lois sur le travail des enfants.
Thompson a également beaucoup travaillé sur l’éducation de la petite enfance, l’éducation spéciale et l’orientation professionnelle. Malgré ces réalisations, elle n’a jamais occupé de poste menant à la permanence et a été congédié au début de la Grande Dépression. Auteur de trois livres et d’une cinquantaine d’articles, elle n’a pas réussi à obtenir un autre poste.
Elle a effectivement vécu les mêmes difficultés rencontrées par les femmes universitaires au début du XXe siècle. Longtemps ignorée, elle est reconnue de nos jours comme une pionnière et innovatrice pour les femmes dans le monde universitaire notamment en psychologie d’aujourd’hui.
À suivre